Migration des grues cendrées, le grand spectacle de l’automne
Chaque automne, un spectacle naturel fascinant s’offre aux yeux des passionnés d’ornithologie et des curieux, la migration des grues cendrées.
Ces majestueux oiseaux traversent des milliers de kilomètres à travers l’Europe, de leurs zones de nidification dans le nord jusqu’aux sites d’hivernage du sud, offrant un ballet aérien impressionnant. Grâce à leur capacité exceptionnelle a planer sur les courants d’air, les grues cendrées parcourent des pays entiers sans effort (ou presque).
Médiatisé, du 18 au 25 octobre, le lac du Der célèbre la Fête de la migration des grues cendrées. Chaque automne, ce site naturel devient l’un des meilleurs points d’observation d’Europe pour assister à ce ballet aérien fascinant. Mais vous allez voir que leur répartition évolue, et qu’elles remontent progressivement vers le nord.
Dans cet article plongez au cœur de ce phénomène migratoire, découvrez la grue cendrée, son mode de vie et comment elle traverse notre continent chaque année.
Un démarrage timide pour la migration 2025
L’an dernier, la migration des grues cendrées avait commencé bien plus tôt. Cette année, le départ semble plus lent, probablement en raison des conditions météorologiques douces et d’un retard dans la baisse des températures au nord de l’Europe.
La région du Steinhart se situe sur l’axe principal de migration des grues et offre un poste d’observation privilégié !
En 2024, les ornithologues Sarrois ont estimé qu’environ 100 000 grues ont traversé le territoire de la Sarre, un passage dont nous bénéficions aussi, puisque nous sommes sur le même couloir migratoire.
Un membre de l’association spécialisé dans la biodiversité a relevé certains jours le passage plusieurs milliers de grues en groupes de 20 à 200 individus, et sans doute bien plus car certains jours leur vols étaient invisibles à cause du brouillard ou des nuages. Les grues cendrées se déplacent aussi de nuit, se repérant grâce à leurs cris caractéristiques, ces “gron-gron” sonores qui résonnent jusque dans nos chambres. Il permet souvent d'entendre ces oiseaux bien avant de pouvoir les observer.
Les grues cendrées sont de plus en plus nombreuses
Espèce protégée en France depuis 1967, les populations de grues cendrées sont en nette augmentation.
Elles ne sont pas menacées, notamment grâce à trois facteurs positifs :
Des hivers plus doux liés au réchauffement climatique : Les grues migrent donc moins loin qu’autrefois.
Le réchauffement climatique réduit la nécessité de descendre jusqu’en Espagne ou en Afrique. Aujourd’hui, de nombreuses grues choisissent d’hiverner dans l’Est de la France, où elles trouvent suffisamment de nourriture et de zones calmes pour se reposer.Une nourriture abondante grâce aux grandes cultures : Les grues se nourrissent dans les champs après les récoltes (des restes de maïs, blé ou tubercules). Ces ressources, disponibles en automne, offrent une alimentation riche et facilement accessible.
Une meilleure protection des sites d’hivernage : Les zones humides, comme le lac du Der, sont aujourd’hui protégées et gérées pour préserver la biodiversité. Les grues y trouvent des îlots peu profonds où elles dorment en toute sécurité, à l’abri des prédateurs terrestres.
De nombreuses grues ne descendent plus jusqu’en Espagne.
Elles trouvent dans le Grand Est, notamment en Meuse, Meurthe-et-Moselle et Moselle, des zones planes et riches en nourriture.
En 2023, il a été recensé plus de 30 000 grues cendrées en hivernage.
Reconnaître la Grue Cendrée
La Grue cendrée est l'un des plus grands oiseaux d'Europe.
Une envergure de 2 m à 2,40 m pour un poids de 4 à 6 kg font d'elle, un oiseau imposant.
Son nom de “cendrée” lui vient de sa couleur à dominante grise, couleur cendre, relativement uniforme. L'oiseau adulte présente une tête contrastée entre noir et blanc. Une calotte rouge située au sommet de la tête est également plus ou moins visible selon la saison.
Le jeune né dans l'année est différent car entièrement brunâtre. Il acquière progressivement son plumage d'adulte.
Un oiseau nidifuge
Cela signifie que ses poussins sont capables de quitter le nid peu après l'éclosion pour suivre leurs parents et se nourrir. Cette caractéristique est partagée par d'autres espèces d'oiseaux, notamment les échassiers, qui doivent rapidement devenir autonomes pour échapper aux prédateurs et survivre.
Dès leur naissance, les poussins de grue cendrée sont couverts d'un duvet brunâtre et sont capables de courir, nager et se cacher dans les herbes hautes en cas de danger. Ils suivent leurs parents dans les marais et les prairies pour se nourrir, principalement d'insectes, de mollusques et de petits vertébrés.
Les jeunes grues cendrées effectuent leurs premiers vols à l'âge de 2 mois, mais restent avec leurs parents jusqu'à la fin de l'hiver. Ils atteignent leur maturité sexuelle entre 3 et 5 ans. Cette période prolongée de dépendance familiale permet aux jeunes d'acquérir les compétences nécessaires pour la migration et la reproduction futures.
L’espérance de vie de la grue cendrée est de 15 à 17 ans à l’état sauvage.
Les reines de l’efficacité !
Les grues cendrées sont de véritables championnes du ciel. Leur vitesse de vol moyenne se situe entre 40 et 80 km/h, mais lorsque les vents sont favorables et puissants, elles peuvent dépasser les 100 km/h. Grâce à cette vélocité impressionnante, elles peuvent traverser la France en une seule journée !
Leur secret ? Une maîtrise parfaite des courants d’air et des vents chauds et froids. Ils ont une capacité extraordinaire à exploiter ces courants pour accroître l’efficacité de leur vol, et par la suite ils peuvent planer sur de longues distances en profitant des courants ascendants, tout en fournissant un minimum d’effort.
Mais leur efficacité ne se limite pas à la physique, c’est aussi une affaire d’organisation et de travail d’équipe.
Pourquoi les grues volent-elles en “V” ? Il s’agit d’une stratégie d’efficacité énergétique et de coordination.
Chaque oiseau profite du sillage aérodynamique de celui qui le précède, ce qui réduit sa dépense d’énergie.
Les positions changent régulièrement pour répartir la fatigue.
La formation en “V” facilite la communication visuelle et sonore entre les membres du groupe.
Enfin, elle assure une meilleure cohésion en vol, même dans des conditions météorologiques difficiles.
À ce titre, les grues cendrées pourraient bien être surnommées les “reines de l’économie d’énergie”, alors que nous faisons le plein de carburant pour parcourir seuls quelques centaines de kilomètres, elles, en groupe, traversent des pays entiers en économisant au maximum leur énergie. À bon entendeur !
Un rythme inversé
Les grues cendrées ont un calendrier très différent du nôtre. Durant l’été, elles passent leur temps dans le nord de l’Europe, où elles se reproduisent et élèvent leurs petits. Quand l’hiver arrive, elles migrent vers le sud pour passer la saison froide.
En France, environ 360 000 grues traversent le territoire lors de leur migration, tandis que 100 000 à 120 000 individus choisissent d’y passer l’hiver. Les oiseaux qui transitent par la France nichent principalement en Suède, en Finlande, dans le nord de l’Allemagne et en Pologne. Quelques rares couples se sont également installés en Moselle.
Leur répartition évolue progressivement, auparavant dans la région, leur séjour hivernal se concentrait autour du lac du Der. Aujourd’hui, elles remontent vers le nord, attirées par le réchauffement climatique et les grandes cultures. Ces champs ouverts leur offrent une excellente visibilité pour repérer les prédateurs et s’envoler rapidement en cas de danger.
Ces dernières semaines, une surmortalité inhabituelle de grues cendrées a été observée dans la Marne, un phénomène que les autorités naturalistes attribuent très probablement à un épisode de grippe aviaire.
Selon les premières constatations, relayées par le journal L’Uvenion, plusieurs oiseaux migrateurs ont été retrouvés morts sur les zones de halte du département.
Un virus hautement pathogène peut, en quelques jours, toucher des milliers d’individus en déplacement, avec des répercussions sur tout le couloir migratoire européen.
Les autorités et naturalistes rappellent que ces épisodes soulignent la fragilité de l’équilibre écologique au moment des grandes migrations.
Par ailleurs, certains observateurs notent que les passages migratoires semblent moins nombreux cette année par rapport à 2024. Faut-il y voir un effet direct de la grippe aviaire, ou simplement un décalage dû aux températures exceptionnellement clémentes ? La saison migratoire encore en cours apportera sans doute des éléments de réponse.
Mise à jour vendredi 24 octobre :
La grippe aviaire se propage en Europe, touchant particulièrement les oiseaux sauvages. Ce matin, une quatrième grue cendrée a été retrouvée morte en Sarre, portant à plusieurs milliers le nombre d'oiseaux sauvages infectés en Allemagne, notamment dans le Land de Brandebourg et le Rheinland pflaz. Les autorités sanitaires allemandes confirment que ces oiseaux sont porteurs du virus de la grippe aviaire, bien que la souche exacte n'ait pas encore été déterminée.
En France, le ministère de l'Agriculture a relevé le niveau de risque à "élevé" sur l'ensemble du territoire national, obligeant les éleveurs à maintenir leurs volailles à l'intérieur pour limiter les contacts avec les oiseaux sauvages infectés. Cette mesure vise à renforcer la surveillance et à prévenir la propagation du virus.
Les autorités sanitaires rappellent qu'il est essentiel de ne pas toucher les oiseaux morts ou malades, car le virus peut se transmettre aux humains et aux animaux domestiques. Bien que les cas de transmission humaine restent rares, ils sont possibles, notamment après un contact direct avec des oiseaux infectés. Il est donc recommandé de signaler toute découverte d'oiseau mort ou malade aux autorités compétentes.
La situation reste préoccupante, et les autorités sanitaires continuent de surveiller de près l'évolution de l'épidémie.
Prédateurs et comportements défensifs
Les grues dorment en général groupées sur l’eau, les pattes dans les zones peu profondes, pour éviter les prédateurs terrestres comme le renard, la martre, ou le sanglier. Les œufs et poussins sont parfois menacés par des corvidés ou des busards.
Chez les adultes, les attaques sont rares, mais le Pygargue à queue blanche (Haliaeetus albicilla) peut parfois s’en prendre à elles.
Le Pygargue à queue blanche ?
D’une envergure de 2m30, c’est l’un des plus gros rapaces d’Europe, de plus en plus présent en automne et en hiver. Le nombre de couples nicheurs est très faible en France, y compris en Moselle. Seuls quelques couples établis existent, et la protection / conservation reste critique. Tous les individus observés ne sont pas nécessairement nicheurs ; certains sont simplement de passage ou hivernants.
Depuis 2011, un couple reproducteur de Pygargues à queue blanche est installé à l’étang de Lindre. Ce couple est qualifié de “historic” pour la région du Grand Est. On observe aussi des Pygargues en liberté autour du parc animalier de Sainte-Croix à Rhodes, et au Lac du Der.
Observer, comprendre, protéger
La grue cendrée est le symbole même de l’oiseau européen, elle a su évoluer sans avoir besoin de frontières ni de visas, franchissant pays et territoires en toute liberté. Ces majestueux oiseaux nous rappellent l’importance de l’organisation et de l’adaptation.
Il est possible que le général de Gaulle, en contemplant la carte de migration des grues cendrées, aurait compris avant l’heure que les Anglais, insulaires jusque dans leur esprit, ne seraient jamais vraiment des Européens… Les grues, elles, traversent le continent comme des véritables citoyennes du ciel, elles incarnent l’Europe dans ce qu’elle a de plus naturel, de plus fluide et de plus libre.
“Nèè Mòmme dass sìnn kèèn Schnéégènz, dass bìnn Kròònische, ùnsere Schnéégènz kìnne nìt flìehe”
“Non maman, ce ne sont pas des oies des neiges, ce sont des grues ! Nos oies des neiges, elles, ne savent pas voler.”
Les grues cendrées sont de véritables championnes de la migration, longues ailes, cou élancé, elles parcourent des milliers de kilomètres en planant sur les vents et courants d’air. Leur cri clair et puissant traverse les vallées.
Les oies des neiges, elles, ont un profil plus compact et un vol moins élégant. Certaines populations domestiquées ou locales ne volent presque pas. Leur plumage blanc éclatant et leurs accents noirs sur les ailes les distinguent, tout comme leur cri plus nasal.
Alors la prochaine fois que vous sortirez dans votre jardin et lèverez les yeux vers le ciel souvenez‑vous : longues et gracieuses, ce sont les grues cendrées ! Profitez de ce beau spectacle dans notre ciel et laissez-vous charmer par l’un des oiseaux les plus européens qui soient.
Celles qui descendent encore jusqu’au sud de l’Espagne remontent ensuite en passant par le nord de l’Afrique, au plus bas de leur migration.
Les zones de reproduction de nos grues s’étendent du nord de l’Europe jusqu’à la pointe de la Russie.
Envie d’en savoir plus ? Rendez-vous le jeudi 6 novembre à 19h à la médiathèque communautaire pour une conférence sur les traces des grues cendrées en migration. La conférence invite à un voyage sonore et linguistique à travers les territoires traversés par ces oiseaux emblématiques. Gratuit sur un inscription auprès de la médiathèque de Sarreguemines.
Le Steinhart est une terre relativement préservée, protégée par une topographie particulière et équilibrée.
Elle abrite un grand nombre d’oiseaux qui y nichent, y passent l’hiver ou la traversent lors de leurs migrations.
Nos spécialistes se sont réunis pour établir un inventaire exhaustif, qui a permis de recenser près de 200 espèces !
Nous sommes actuellement en train de le mettre à jour sur notre page dédiée, en classant chaque espèce dans sa famille respective, avec les noms en français, en allemand et en latin, accompagnés des photos correspondantes, ainsi que de leurs chants et cris, afin que chacun puisse les reconnaître facilement. Vous disposerez ainsi de toutes les informations nécessaires pour identifier tous les oiseaux du Steinhart, qu’ils soient présents en été, en hiver ou de passage.
Fort de l’expérience de nos spécialistes, nous vous proposerons pour la Saint-Nicolas un premier album photo sur papier, dédié à tous les passereaux du Steinhart. Un deuxième album suivra en 2026 et un troisième et dernier en 2027 qui viendra compléter la liste de tous les oiseaux du Steinhart.
Nous vous lançons dès maintenant un défi : trouvez une espèce supplémentaire qui n’aurait pas encore été recensée et nous vous promettons une belle récompense si vous y parvenez !
Sources : Observatoire de la biodiversité du Grand Est,
National Geographic, GoodPlanet, Vigie-Nature et
MDPI – Avian Ecology Studies 2024 (prédateur)
LPO (Ligue pour la Protection des Oiseaux)