De l’arbre à la table : l’histoire et l’avenir de la quetsche
“Comment ça, tu veux ramasser des prunes ? Très bien. Alors gare-toi un peu n’importe comment : dans le virage, à moitié sur le trottoir et pile sur le passage piéton. Tu verras, effet garanti, tu récolteras d’un coup deux variétés : la prune… et l’amende !”
Heureusement, il existe une version bien plus douce et savoureuse de ce fruit : celle qui pousse sur le prunier, appelé bien plus couramment le quetschier.
Elles se récoltent, à peu de chose près à la mi-septembre. Mais cette année la saison de la cueillette et de la transformation des fruits démarre avec une avance inhabituelle d’environ un mois, sans doute liée au réchauffement climatique.
La quetsche, emblème de notre patrimoine local
La quetsche est bien plus qu’un fruit : elle est un véritable symbole de notre terroir. Contrairement à la mirabelle, importée puis adaptée aux sols argilo-calcaires issus du muschelkalk datant du Trias, le quetschier a prospéré ici sans difficulté.
La quetsche, solidement implantée sur nos sols calcaires aérés, a toujours prospéré et fait partie intégrante de notre quotidien.
Nos anciens l’ont appréciée sous toutes ses formes : fruit frais au goût légèrement sucré, amer et acidulé, fruit séché pour une conservation longue, confitures, marmelades ou encore le fameux Quetscheschlèggel (marmelade de quetsches) et le traditionnel Quétschekùùche (tarte aux Quetsches). Elle a aussi trouvé sa place en bocaux, au congélateur… Véritable trésor polyvalent, la quetsche a su, au fil des générations, régaler les papilles des Steinhartiens et accompagner leur vie quotidienne… jusqu’à son utilisation au second degré tel que "c'est une quetsche", "elle à mal a la quetsche" etc.
Et lorsque les récoltes débordaient, une partie des fruits finissait dans l’alambic communal, pour être transformée en eau-de-vie, utilisée autant pour le plaisir que parfois pour soigner de petits maux. Cet alambic, marqueur historique de notre terroir, est encore aujourd’hui utilisé pour distiller les fruits récoltés dans nos vergers et jardins.
La quetsche est sans doute en France le fruit le plus méconnu de notre terroir. Ce fruit dont la présence a été attestée en 1748 (Littré) en Moselle germanique et au luxembourg puis en 1775 (Oberlin, patois) et dont le nom a été emprunté au vieux francique quetsche, proche de l'allemand Zwetschge, était la reine de nos Streuobstwiesen.
Son origine est la prune de Damas rapportée en Europe par les croisés entre 1095 et 1148.
Le roi de France Louis VII et le prince allemand Conrad III revinrent dans leurs pays respectifs sans rien rapporter des croisades que des prunes, d'ou l'expression "pour des prunes".
L'importance de ce fruit est enraciné dans notre mémoire collective.
Où en sommes-nous aujourd’hui ?
Les nouvelles du front des quetsches ne sont pas bonnes aujourd’hui.
Si dans les années 90 les établissements Kieffer situés à la Neumiehle, au Moulin neuf annexe de Kerbach au centre du Steinhart, avaient entre autre activité florissante le ramassage et la revente de nos quetsches, elle a été amené à cesser cette activité depuis le début des années 2000 par faute de combattants...
En effet qui parmi les anciens, ne se souvient pas d'avoir été obligé en tant que gamin de souscrire à la tradition de la cueillette des quetsches pour 20 centimes de franc d'époque le kg ?
Une mauvaise année c'était 350 tonnes qui partaient de la Neumiehl vers les transformateurs et négociants français et allemands. Une bonne année c'était 1000 tonnes et une très bonne année ça pouvait aller jusqu'a 1500 tonnes (10 baleines bleues ou 25 chars Leclerc) !
Le vieillissement de ces arbres plantés a été inéluctable pour la plupart entre les deux dernières guerres, puis à la fin de la dernière. Le non renouvellement de ces plantations, et le désintérêt du marché pour ces fruits BIO non modernes pourrait conduire à faire disparaître ce fruit si rien n'est entrepris pour le sauver. Mais des arboriculteurs responsables y veillent déjà. Le remembrement, la disparition des haies, ainsi que le réchauffement climatique y ont aussi largement contribué. On rentrait dans l'aire des "Golden" en basse tige dans des vergers modernes en monofruits bientôt amendés et traités chimiquement pour garantir un aspect et un rendement acceptable !
Il existe encore dans notre région de nombreux vieux quetschiers, certains ayant largement dépassé les 50 ans, et qui donnent toujours de beaux fruits lorsque les gels du printemps ont épargné leurs fleurs. Mais ces arbres ne sont plus entretenus comme ils le devraient. On les trouve le plus souvent isolés en plein champ, de plus en plus souvent encerclés par des terres labourées qui chaque année grignotent un peu plus leur espace. Et bien souvent, lorsque le grand-père qui en prenait soin disparaît, quelques mois plus tard, comme par enchantement, les arbres disparaissent eux aussi sous la charrue, dans l’indifférence générale.
Mais tout n’est pas perdu, loin de là. Le quetschier s’est si bien adapté à nos sols qu’il émet spontanément des rejets, parfaits pour créer de nouveaux arbres haute tige. On peut les tailler sur place, les greffer ou les replanter à l’abri des labours.
Ne pas préserver la quetsche serait laisser s’effacer un emblème vivant de notre terroir, alors que nous disposons aujourd’hui de tous les outils pour relancer la production de ce fruit emblématique de notre région.
Nous n’avons pas su exploiter pleinement ce potentiel
D’autres régions l’ont fait à notre place, comme le Lot-et-Garonne avec le fameux pruneau d’Agen, qui bénéficie d’une IGP et s’exporte jusqu’en Chine !
Le pruneau d’Agen en quelques chiffres :
40 000 tonnes produites chaque année
1 140 producteurs impliqués
11 000 hectares de vergers
20% en Agriculture Biologique
Le plus piquant dans l’histoire ? Le pruneau d’Agen n’est autre que la prune d’Ente*… qui elle-même n'est autre qu'une cousine de la quetsche du Steinhart !
*La prune d’Ente est issue du croisement entre la prune de Damas et la prune de Saint-Antonin
Ces arbres se sont si bien adaptés sur notre terroir que les rejets des anciens arbres poussent aujourd’hui comme des haies sauvages. Il suffit de les tailler quelque peu, de les protéger des prédateurs de tout poil pour avoir à nouveau de beaux fruits au mois de septembre et ainsi sauvegarder nos traditions.
Nous n'avons plus besoin de grosses quantités. Le Quétscheschnaps n'est plus d'actualité.
Son image n'a pas suivi la même courbe que le schnaps de pommes de terre des Russes (vodka) ou le schnaps de céréales des Americains (whisky). Alors cultivons notre différence, mangeons les cochons nourris aux pommes de terre et aux céréales, et trinquons à la santé des habitants du Steinhart avec un verre de quetsches BIO aux vertus incomparables !
Nous rappelons que l’association a décidé de faire imprimer des étiquettes pour personnaliser les produits que vous transformerez sous forme d’alcools et de jus de différents fruits de notre terroir. Nous mettrons ces étiquettes gratuitement à disposition des membres de l’association.
Et comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, nous vous proposons de venir titrer vos alcools en stock, d’en analyser la valeur organoleptique résiduelle par un œnologue, et d’étiqueter vos carafes et bouteilles enfouies au fond de votre cave… et de votre mémoire. Ces produits “no name” (sans nom) retrouveront ainsi la place qui leur revient sur vos tables d’amis, en arborant fièrement leur origine et leur valeur digestive et festive.
Un exemple concret
La coopérative fruitière Vegafruits, en Lorraine, réunit plus de 200 producteurs, cultivant plus de 600 hectares et produisant plus de 8 000 tonnes de fruits. Ceux-ci sont vendus ou transformés en surgelés, purées, huiles, etc. Ce modèle montre qu’il est possible de valoriser nos fruits autrement, dans une logique durable.
Ces prix illustrent bien la réalité de la filière : entre les 3 à 5€ le kilo perçus par les producteurs en circuit direct et les 6,90€ payés par le consommateur au détail, il existe un écart qui reflète le coût de la logistique, de la transformation et de la distribution. Si cette activité n’est pas “rentable” au sens capitalistique, elle reste essentielle pour l’économie locale. Elle fait vivre plus de 200 familles de producteurs, maintient des emplois dans la transformation et la commercialisation, et permet de préserver un savoir-faire régional.
Surtout, elle garantit que la valeur créée par la quetsche (et la mirabelle) reste en grande partie sur notre territoire, plutôt que de s’évaporer dans des circuits mondialisés.
À Farebersviller, on célèbre la quetsche avec panache grâce à la Confrérie de la Prune et de la Quetsche Lorraine. L’idée a germé dès 1993, avant de se concrétiser en 1999, avec l’ambition de donner ses lettres de noblesse à ce fruit familier de notre région. Chaque année, le 3ᵉ samedi de septembre, un chapitre festif réunit confrères et gourmands autour de la quetsche sous toutes ses formes.
Fidèle à sa devise : « Un délice pour la bouche et un p’tit verre coquin, voilà ce qui nous touche et qui nous fait du bien. », la Confrérie perpétue le goût des traditions en élaborant des confitures maison sans conservateurs !
Une partie non négligeable du ban communal de Farebersviller repose sur le muschelkalk du Steinhart, un terroir calcaire qui confère aux vergers une richesse singulière, un goût exquis et participe à la qualité des quetsches locales.
Préparation des quetsches pour les bocaux - Photo N. Klein
Cueillette sur l’arbre ou au sol ?
La vitesse de maturation des quetsches varie selon leur emplacement dans l’arbre : celles situées en hauteur, bien exposées au soleil, mûrissent plus vite que celles dissimulées à l’ombre, au cœur du feuillage. Résultat : la période de récolte peut s’étaler sur une dizaine à une vingtaine de jours, et nécessite souvent plusieurs passages, du haut de l’arbre vers le bas.
Deux méthodes sont possibles : la cueillette à la main ou la récupération des fruits tombés naturellement (ou après avoir secoué les branches). Si la chute au sol indique en général une maturité optimale, les quetsches destinées à être dégustées fraîches gagnent à être cueillies à la main, pour éviter les chocs qui altéreraient leur goût et leur conservation. Quant aux fruits ramassés au sol, ils feront parfaitement le bonheur des amateurs de tartes et de confitures.
Comment la conserver plus longtemps ?
Dès qu'elle n'est pas abîmée, la quetsche peut se conserver durant une dizaine de jours au réfrigérateur.
Pour cela évitez de la laver à grande eau car la pruine (fine pellicule blanche ou bleuâtre qui recouvre la peau) favorise la conservation.
Astuce : La température optimale de conservation qui permet de garder les fruits intacts jusqu'à quatre semaines est entre 0°C à 1°C. Les températures supérieures accélèrent la transformation du fruit.
Une recette du Quétscheschléggel (Marmelade de quetsches)
Pour une traduction en français cliquez ici.
Bien plus qu’une question économique
Préserver et replanter des quetschiers, ce n’est pas seulement produire des fruits : c’est diversifier nos paysages, enrichir la biodiversité et offrir un refuge à une faune et une flore menacées.
Et puis, soyons honnêtes : quelle plus belle activité que de se dépenser physiquement, en plein air, au rythme des saisons, sur son propre terroir ? Pas besoin d’aller suer dans les “Muggi Buud” des villes, ni de s’imposer des repas comme j… je n’aime pas ! Ici, l’effort est naturel, sain, et en retour, la nature nous récompense généreusement avec ses fruits.
N’est-ce pas le plus joli des cadeaux ?