C’est la saison des fruits : sauvons le soldat Mirabellier
C’est la saison des fruits dans le Steinhart. Et la récolte des mirabelles bat son plein : confitures, tartes, fruits de bouche… et bien sûr, l’âme de notre mirabelle : l’eau-de-vie.
Mais derrière ce fruit emblématique se cache une histoire oubliée… et un appel à sauver nos vergers traditionnels. Savez-vous qu’elle n’a pas toujours été l’enfant du pays ? Et qu’elle pourrait bientôt disparaître de nos paysages ?
La mirabelle, pas si locale que ça…
Mais la mirabelle n’a pas toujours été, contrairement à la quetsche, un fruit issu de notre terroir.
En effet, au début de son implantation chez nous, il y a quelques générations, elle a fait l’objet d’une adaptation pour mieux correspondre aux caractéristiques de notre sol, composé essentiellement de muschelkalk (calcaire coquillier), ainsi qu’au climat nuits fraîches et journées chaudes…
Elle a été greffée sur des porte-greffes de pruniers sauvages, ce qui lui a permis de profiter de la rusticité du porte-greffe tout en conservant la finesse de la mirabelle, fruit jaune, tacheté de rouge et recouvert d’une fine pruine (couche cireuse et légèrement poudreuse recouvrant certains fruits) lorsqu’il est mûr.
Malgré ces origines “lointaines”, la Lorraine qui fournit actuellement environ 80% de la production mondiale ! Le Grand Est produit et récolte environ 14 000 tonnes chaque année avec près de 200 producteurs, répartis sur environ 1 000 hectares de vergers, qui récoltent et valorisent la mirabelle. À elle seule, la Lorraine représente près de 70 % de cette production, faisant de ce territoire le berceau historique du fruit doré.
Une production qui fait d’ailleurs l’objet d’une indication géographique protégée (IGP). Les conditions naturelles (climat, sols, exposition) combinées à un savoir-faire multiséculaire, ont forgé une identité forte autour de la mirabelle. Ce fruit bénéficie depuis 1996 d’une Indication Géographique Protégée (IGP), la première obtenue en France pour un fruit. Elle est également reconnue par un Label rouge, et son eau-de-vie a obtenu l’Appellation d’Origine Contrôlée (AOC).
La preuve en est la multitude de myrobolans que l’on retrouve encore aujourd’hui dans certains anciens vergers. Ils sont faciles à reconnaître au printemps : c’est le premier arbre ou la première haie à entrer en fleur, bien avant tous les autres. De magnifiques fleurs blanches et odorantes annoncent le printemps dès le mois de mars.
La prune du myrobolan ressemble à la mirabelle mais n'est pas une mirabelle qui est une autre sous-espèce de prune. La couleur la plus courante est rouge-violet.
Offrant le premier nectar de la saison, ces floraisons précoces attirent aussitôt une nuée de pollinisateurs (abeilles, bourdons et autres insectes butineurs) désormais bien établis dans notre biotope.
Inlassables, ces véritables petites ouvrières s’affairent de fleur en fleur, assurant une pollinisation généreuse qui promet, quelques mois plus tard, une profusion de mirabelles. Sans elles, pas de fruits juteux à croquer ! Leur travail discret et essentiel fait vivre nos vergers et entretient la richesse de la biodiversité locale.
Myrobolan en fleur Source ANAB - Photo Roland Gissinger
Un mirabellier
Un Myrobolan Source ANAB - Photo Roland Gissinger
Et quant à l’origine de son nom, plusieurs hypothèses s’affrontent.
La première indiquerait qu’il s’agit d’une dérive du nom italien myrobolan (emprunté du grec myron, parfum, et balanos, gland).
La deuxième hypothèse veut que le nom de cette délicieuse prune lui ait été donné, vers 1430, par un maître échevin (magistrat) de Metz nommé… Mirabel.
Mais pour le très officiel Trésor de la langue française, l’étymologie viendrait des communes provençales appelées “Mirabel” (un nom qui signifie “beau à voir”) : les “prunes de Mirabel” sont ainsi évoquées en 1649 - René Ier avait donc fait le lien, entre Lorraine et Provence, deux des terres qu’il avait en apanage.
Aujourd’hui il existe plusieurs variétés : Mirabelle de Nancy, Mirabelle de Metz… chacune propre au caractéristiques de son sol.
Alerte : déclin des vergers traditionnels
Au printemps prochain, en faisant le point sur le nombre de myrobolans encore présents sur notre terroir, vous prendrez conscience de l’importance du parc de mirabelliers qui existait du temps de nos grands-parents : des milliers d’arbres qui ont vieilli et péri, laissant le porte-greffe reprendre sa place par des rejets multiples, formant une végétation arbustive post-verger, avec des fruits de toutes les couleurs, du jaune vif au rouge très foncé.
Sans compter les vergers haute-tige systématiquement détruits pour laisser place à une agriculture pas toujours très respectueuse de la nature.
Les fruits, légèrement acidulés et dont la caractéristique constante est de ne pas se détacher du noyau, n’ont qu’une valeur culinaire médiocre, voire laxative. Ceux qui ont tenté d’en faire du schnaps en ont été pour leurs frais : rendement très médiocre et produit final sans nom ni saveur…
Mais maintenant que ce constat est posé, il est grand temps de sauver le soldat Mirabellier.
Mirabelle en danger
La mirabelle est un des rares symboles culinaires mondialement connu de la Lorraine et elle est en passe de se faire récupérer par l’Alsace. Le dynamisme des Alsaciens fait que l’on parle de plus en plus de la mirabelle d’Alsace.
Quel comble ! Alors, nous vous en conjurons : reprenez la mirabelle en main et ne la lâchez plus.
Dans les années 70, dans la foulée de la mécanisation et du développement d’une agriculture productiviste, les arboriculteurs régionaux ont été encadrés par des organisations pilotes telles que Laquenexy, l’épicentre de nos anciens arboriculteurs, afin de suivre la ligne du parti : créer des vergers collectifs avec des variétés dites modernes, réagissant aux engrais et aux pesticides.
Cela a effectivement marché quelques années, et nos anciens se souviennent avec nostalgie de récoltes abondantes de tous les fruits du terroir, sans se douter des conséquences désastreuses de cette stratégie à court terme.
Résultat : aujourd’hui les vergers sont devenus improductifs et les arbres plantés alors sont totalement inadaptés aux conditions écologiques actuelles.
Que faire maintenant ?
La réponse est simple : faire l’inverse de ce qu’on nous a dit depuis 50 ans.
Replanter des mirabelliers haute-tige (et non des basses ou moyennes tiges), adaptés aux conditions d’un climat changeant. Ces variétés doivent être naturellement résistantes aux maladies et aux attaques de certains insectes.
Ne pas les planter tous ensemble, afin d’éviter les agressions massives (insectes, maladies, animaux sauvages et domestiques etc) liées à la densité de la plantation.
Les planter dans des sols riches, ni trop secs ni surexposés au soleil.
Les terres sont plus riches dans les bas de vallons que sur les collines (c’est-à-dire qu’on y trouve plus de limons et de terres fertiles).
Éviter les terrains appauvris, et ne planter pas après une occupation du sol par une culture de maïs, qui a appauvri le sol en laissant le lessivage des bonnes terres se produire tout au long de l’hiver et du printemps.
Planter des mirabelliers haute-tige, c’est miser sur la résilience et la durabilité. On peut les installer dans des zones pâturées ou fauchées, où ils apportent une ombre bienvenue, aussi bien pour les hommes que pour les animaux. Leur écorce se protège facilement contre les rongeurs et les cervidés, souvent trop nombreux, et ils résistent mieux aux dégâts causés par les sangliers.
Leur force réside aussi sous terre : leurs racines plongent plus profondément et s’étendent plus largement que celles des arbres de basse ou moyenne tige. Résultat : même en plein été, ils vont chercher l’eau là où on ne l’attend pas, dans des sols secs ou accidentés en surface.
Ici, dans le Steinhart, la terre chargée de muschelkalk cache de véritables réseaux d’eau souterraine. Invisibles à l’œil nu, ces filets d’eau sont pourtant bien réels, et les spécialistes savent les repérer immédiatement (parfois simplement en observant la bonne santé de certaines essences telles que le frêne !).
Observez la nature : elle vous indiquera où planter et où éviter. Cela vaut autant pour la richesse naturelle du sol que pour les gelées tardives, qui épargnent souvent, dans une même localité, un versant plutôt qu’un autre, une colline plus qu’une autre, etc.
N’oubliez pas qu’avec la mondialisation, nous avons importé nombre de maladies potentielles de tous les continents, avec les insectes ravageurs qui les accompagnent.
Planter pour demain
Aujourd’hui, il ne s’agit plus de planter des arbres fruitiers uniquement pour nous nourrir ou nous fournir du carburant pour nos muscles. Il faut planter pour se soigner, pour créer quelque chose de sain et naturel qui nous survivra, pour rééquilibrer la nature, lui permettre de retrouver son potentiel originel et sa biodiversité.
Avoir des récoltes-plaisir à consommer sous toutes leurs formes : fruits, jus et alcools de saison, glaces, sirops, clafoutis, confiseries, pâtes de fruits… Et même des produits cosmétiques ! L’huile de mirabelle est particulièrement recommandée pour le soin des peaux sèches, ainsi que pour nourrir et réparer les cheveux secs ou abîmés.
Parmi ses fruits de bouche, les mirabelles en bocaux étaient très importantes pour nos anciens : ils pouvaient ainsi profiter toute l’année de fruits sains et locaux, avec un bilan carbone réduit au simple trajet… de la cave au rez-de-chaussée ! C’est bien plus propre et raisonnable d’en savourer en hiver plutôt que de manger des fruits coûteux, hors saison, venus du bout du monde, dont on ignore souvent les méthodes de production…
L’astuce pour en profiter toute l’année : les congeler
Pour prolonger le plaisir des mirabelles après l’été, congelez-les dès la récolte.
Optez pour des mirabelles à la peau lisse, sans tache, et à la chair ferme. Rincez-les délicatement à l’eau claire, puis séchez-les soigneusement (papier absorbant ou un torchon propre). Vous pouvez les congeler entières, en deux, avec ou sans noyau. Disposez ensuite vos fruits sur une grille ou une plaque recouverte de papier cuisson, en les espaçant bien pour éviter qu’ils ne collent entre eux. Placez-les au congélateur pendant au moins une heure. Une fois qu’ils sont bien durs, transférez-les dans des sacs de congélation hermétiques, en chassant l’air au maximum. Bien conservées, vos mirabelles garderont leur saveur pendant environ six mois.
Pour les déguster crues, laissez-les décongeler lentement au réfrigérateur durant plusieurs heures. En compote, confiture ou chutney, inutile d’attendre : utilisez-les directement encore gelées dans la casserole. Et pour une tarte ou un crumble, saupoudrez le fond de poudre d’amandes ou de semoule fine afin d’absorber l’excédent d’humidité.
Vous retrouverez alors tout l’arôme des mirabelles, même en plein hiver.
L’initiative Steinhart Terre d’Origines
Dans ce contexte, nous avons décidé de faire imprimer des étiquettes pour personnaliser les produits que vous transformerez sous forme d’alcools et de jus de différents fruits de notre terroir.
Nous mettrons ces étiquettes gratuitement à disposition des membres de l’association.
Ainsi qu’une étiquette eau-de-vie mirabelle offerte (et à personnaliser) pour tout Steinhartien qui plante un mirabellier en 2025 !
Et comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, nous vous proposons de venir titrer vos alcools en stock, d’en analyser la valeur organoleptique résiduelle par un œnologue, et d’étiqueter vos carafes et bouteilles enfouies au fond de votre cave… et de votre mémoire.
Ces produits “no name” (sans nom) retrouveront ainsi la place qui leur revient sur vos tables d’amis, en arborant fièrement leur origine et leur valeur digestive et festive.
Vive le Steinhart !
Pour clore cet article consacré à la mirabelle, voici un poème de l’écrivain et historien lorrain Kevin Goeuriot, passionné par les traditions et les paysages de sa région natale.
“Le voici revenu ce moment de l'année
Que les anciens avaient appelé fructidor
Que chacun prenne donc clayattes et paniers
Pour aller ramasser les douces perles d'or
Mirabelle dorée douce perle de miel
Tu es pour les Lorrains un rare don du ciel
Il paraît que les fruits sont beaux cette saison
À Billy on les vend trois euros le kilo
Je vais en ramener un peu à la maison
Pour faire une chavande et aussi des brûlots
Mirabelle dorée douce perle de miel
Tu es pour les Lorrains un rare don du ciel
Sur la pâte brisée c'est le mois d'août qui luit
Comme un soleil couché dans la chaleur du four
Et voilà que soudain un doux parfum de fruit
Vient embaumer l'été jusqu'à la fin du jour
Mirabelle dorée douce perle de miel
Tu es pour les Lorrains un rare don du ciel
En amoureux gourmands on aura dévoré
La tarte qui brillait comme mille soleils
Puis la nuit est venue et je t'ai murmuré
Que ce soir dans tes bras je n'aurai pas sommeil
Et tes yeux ma chérie tes yeux couleur de miel
Sont pour moi ma chérie un rare don du ciel”
Illustration de Jean Morette