La frappe d'un V1 sur Tenteling le 21 octobre 1944

“Ce samedi-là, le village est calme, la matinée fraiche, les habitants affairés, les agriculteurs dans leurs champs, les ouvriers mineurs au travail, d'autres, encore réquisitionnés par les Allemands pour établir des fossés antichars dans la région des lacs, autour de Puttelange.

Lorsque s'abattit cette fusée rudimentaire V1, une espèce d'avion sans pilote, programmée par un système de guidage mécanique […]

Devenue incontrôlable, elle tomba presque en plein cœur du village au début de la rue du Grauberg, sur les maisons des familles Fritz, Schwartz et Schouller, détruisant complètement cinq immeubles et endommageant par le souffle de l’explosion un grand nombre de maisons ainsi que l'église” détaille Jean-Claude Stieffatre adjoint au maire de Tenteling.

Le 21 octobre 1944, un V1 (Vergeltunsgswaffe 1 : arme de représailles n°1) s'abat sur le village, tuant six personnes et en blessant une dizaine d'autres.

Découvrez les paroles de ceux qui l’ont vécu.

Joseph Wack (de Rouhling) et son frère Alphonse (de Cadenbronn) ont été témoins de la frappe d'un V1 sur Tenteling. “Un jour, c'était le 21 octobre 1944 à 10h du matin, mon frère et moi étions occupés à arracher des betteraves sur les hauteurs vers Bousbach, à quelques mètres de leur poste d'observation, lorsqu'un engin tomba des nuages et explosa à gauche du clocher de Tenteling. Nous allions demander son opinion au soldat de garde, un homme qui venait quelques fois acheter du lait chez nous et que nous avions surnommé “Kwit”. Son réflexe conditionné lui fit affirmer sans hésitation : “Das war ein Engländer” (c'était un avion anglais). Je lui fis remarquer que c'était un V1, bombe volante égarée que j'avais facilement reconnue à son pulsoréacteur situé au-dessus du fuselage. Il me fit comprendre que certaines vérités n'étaient pas encore bonnes à dire. Deux heures plus tard, nous étions fixés : plusieurs maisons de Tenteling avaient été littéralement soufflées et leurs habitants enterrés vivants sous les décombres.” 

La bombe volante V1 ?

Le V1 est désigné officiellement sous le nom “Fi 103” (en référence à la société de construction aéronautique Fieseler qui a activement pris part à son élaboration), il change ensuite afin de devenir “FZG 76” (pour “Flak Ziel Gerät type 76” qui signifie “engin cible de Flak” – le terme Flak désignant la défense antiaérienne). L’utilisation du nom “V1” n’intervient que plus tard, après l’entrée en service de l’arme.

À partir de juin 1944, les services de la propagande allemande choisissent en effet la dénomination “V1”, la bombe volante étant la première des Vergeltungswaffen, les “armes de représailles” de l’armée allemande (aussi qualifiées d’armes secrètes). Le V1 ne doit pas être confondu avec le V2, une fusée dotée d’une charge explosive, qui sera introduit à partir du 8 septembre 1944. Le V2 fait également partie des Vergeltungswaffen bien que son principe fut étudié dès le début des années 1930 par la Reichswehr, avant même l’accession d’Hitler au pouvoir.

Les caractéristiques du V1

Le V1 est un aéronef sans pilote doté d’une charge explosive et d’un pulsoréacteur. Il existe huit versions de V1 (certaines fonctionnelles d’autres se limitant au stade du projet), ici nous nous focaliserons sur la version “A1”, la version la plus courante.

On considère le V1 comme une arme dite de “saturation”, c’est-à-dire que l’on recherche davantage l’impact psychologique sur les populations civiles que la précision. Pour être efficace, il doit donc être produit en grande quantité et son coût doit être limité. Le V1 a pour but de faire peser une menace permanente sur le sud de l’Angleterre, cette arme qui frappe à l’aveugle doit affaiblir le moral et la détermination de la population.

“C'était le 21 octobre 1944. Je venais de rentrer de la prison de Sarreguemines, où j'avais été incarcéré par les Allemands pendant 5 ou 6 semaines. Le lendemain matin, j'avais tout d'abord décidé de rester au lit car j'étais très fatigué, puis finalement, je me suis levé pour prendre l'air. Comme j'avais une course à faire, j'ai pris mon vélo et je me suis rendu à Diebling.

En rentrant, après avoir déposé ma bicyclette devant la maison, j'ai traversé celle-ci pour me rendre au jardin. A ce moment, ma grand-mère m'appela, car des gens de passage étaient là pour acheter des pommes et elle n'y voyait pas pour leur rendre la monnaie. Je lui demandais de patienter, que j'en avais pour un instant et que j'allais venir.

À l'extérieur, j'ai vu un engin qui tournait dans le ciel et qui ressemblait vaguement à un avion. Tout d'un coup, je l'ai vu descendre vers nous en laissant échapper une flamme à l'arrière. À ce moment-là, je me suis jeté par terre et il y eut une explosion. L'engin s'était écrasé sur la maison à quelques dizaines de mètres de moi.

Je me trouvais à ce moment-là à côté du pignon de la grange qui appartenait à la famille Greff. J’ai perdu connaissance et lorsque je suis revenu à moi, j'étais recouvert de toutes sortes de gravats. De loin j'aperçus Schwartz Victor qui s'approchait de la maison, j'ai crié, il s'est dirigé vers moi et m'a dégagé des décombres.

Je me suis levé et comme j'avais une plaie importante au front, je me suis servi de mon mouchoir pour m'en faire un bandage. Des gens sont arrivés et m'ont emmené dans une cave. Le curé est venu pour me donner l'absolution, mais je lui ai dit que le moment n'était pas encore venu.

Les soldats allemands qui se trouvaient à Tenteling voulaient emmener les blessés à l'hôpital de Sarrebruck. Je m'y suis opposé en leur disant que s'ils ne m'emmenaient pas à l'hôpital de Sarreguemines je ne bougerais pas d'ici. Finalement, j'ai eu gain de cause et nous avons été acheminés vers Sarreguemines où je suis resté hospitalisé quelques semaines.

Cette explosion a fait 6 victimes dont, ma grand-mère, une vieille tante, notre voisine Mme Fritz ainsi que son fils Rémy, 2 personnes de Forbach qui étaient de passage dans le village pour se procurer des victuailles. Le premier est décédé sur le coup et l'autre à l'hôpital après quelques jours.

Lors de l'explosion et par la suite, les Allemands n'ont pas voulu admettre qu'il s'agissait d'un V1 en prétextant que c'était une bombe volante anglaise. Le médecin-chef de l'hôpital de Sarreguemines, qui était un nazi m'avait surnommé le “Vl Kandidat”. Ce sobriquet était connu de tout l'hôpital et m'y a suivi durant tout mon séjour.” — témoignage de M. NAGEL Roger

La grand-mère Schwartz Elisabeth, née Schouller, et la vieille tante Schwartz Madeleine

Cérémonie d'inhumation des victimes du V1

Cérémonie d'inhumation des victimes du V1

Le fonctionnement d’un V1

La bombe volante est le résultat d’un savoir-faire technique et technologique inédit pour l’époque.

À l’avant de l’aéronef est disposée une petite hélice, elle est reliée à un compte-tours et s’actionne en vol grâce à la course de l’arme. Le nombre de rotations est fixé avant le décollage en fonction de la distance de la cible à atteindre et des conditions atmosphériques. Une fois au-dessus de l’objectif, le compte-tours actionne un système de volets qui fait plonger l’appareil, l’arrivée d’essence est alors stoppée. Le contact du nez de l’arme avec le sol actionne un percuteur de mise à feu. Un second percuteur placé sous le nez de l’aéronef permet la mise à feu en cas d’atterrissage sur le ventre. Pour tenir son cap, le V1 dispose d’un compas magnétique relié au gyroscope principal de l’arme par l’intermédiaire d’un relais électro-pneumatique. Ces deux appareils, réglés préalablement sur la plate-forme amagnétique de la base de lancement, permettent au V1 de tenir une trajectoire rectiligne jusqu’à son objectif et de garantir la précision du vol. Il existe néanmoins une certaine marge d’erreur de plusieurs kilomètres, du fait notamment du “dérapage” inhérent à la conception aérodynamique du V1 ou des conditions climatiques.

Le pulsoréacteur dont dispose le V1 lui permet d’atteindre une vitesse de croisière de 580 km/h environ et des cibles situées à plus de 200 km de son point de départ. En revanche pour parvenir à décoller le seul pulsoréacteur ne suffit pas : il est nécessaire de catapulter la bombe volante à partir d’une rampe de lancement orientée vers l’objectif. Elle comprend une plate-forme bétonnée (ainsi que des murs protecteurs pour les sites “premier type”) et une structure métallique que l’on nomme “catapulte”. Longue de 49 mètres et inclinée de 6° degrés par rapport au sol, elle est fermement fixée aux plots bétonnés de la piste de tir afin de supporter la poussée produite par le lancement de l’arme.

Pour tirer un V1 il est impératif de suivre un protocole précis dans lequel entrent en jeu plusieurs appareils extérieurs. En premier lieu, un chariot de transbordement est utilisé pour positionner le V1 sur la catapulte. À l’intérieur de celle-ci on trouve tube qui la traverse sur toute sa longueur, il est fendu longitudinalement sur sa partie supérieure. Dans ce tube est placé un piston qui laisse dépasser un ergot sur le dessus de la catapulte grâce à la fente précédemment mentionnée. C’est sur ce crochet que la bombe volante est fixée. L’utilisation d’un générateur de vapeur est ensuite requise. Il vient s’ancrer à l’extrémité du tube de la catapulte, il contient une chambre dans laquelle sont mélangées deux solutions chimiques : le permanganate de potassium et le peroxyde d’hydrogène. Le résultat dégage une importante énergie dans le tube de la catapulte. Le piston subit alors une forte poussée, il se met en mouvement et entraîne le V1 avec lui. En sortie de catapulte, la bombe volante est projetée à une vitesse d’environ 250 km/h, vitesse suffisante pour que le relais soit pris par le pulsoréacteur, allumé environ deux minutes avant le tir. En quittant la catapulte, l’arme se désolidarise du piston qui termine sa course à environ 200 ou 300 mètres de la rampe de lancement et qui peut être réutilisé par la suite. Les solutions chimiques utilisées dans ce processus imposent un nettoyage complet de la catapulte et du générateur de vapeur une fois le lancement effectué en raison de la très grande corrosivité de la réaction produite. 

“Isch war hèit bie minn Mòmme gewèhn, ùff Bùschbach. Minn Mòmme géht ùff 100, ùnn hat nòch e séhr gùddes Gedäschniss vòn frìher.
Dèmm hònn isch die Geschischt vom V1 vòn Tèntlìnge verzéhlt.
Nòh hatt se mer gesaat : ja isch kènn die Geschischt, isch kònn misch nòch gùtt denòh èrìnnere...
Ùff èmòll hònn isch e soo koomischer Balawa gehéert
wù mer nìtt erkènnt hònn ùn dònn e grooser Knall
jééder hat gefròòt ai !  was ìsch dènn das fer Radau gewèhn ?
Kènnner hat kìene a Òntwòrt gènn.
Die Prèise hònn schùnn emòll gaar nìx dezù gesaat ; ùn mer hat gaar nìtt die Fròò, dìerfe schtélle !
Schpèèter ìsch gesaat wòer das wèrre e englisches Zèisch gewèhn, awer nimmònd hatt dìerfe widderscht fròòe”
— Témoignage de Jean-Marie Bour

J'étais chez ma mère, à Bousbach. Ma mère va sur ses 100 ans et elle a encore une très bonne mémoire du passé.
Je lui ai raconté l'histoire du V1 de Tenteling.
Elle m'a alors dit : “Oui, je connais cette histoire, je m'en souviens très bien... Tout à coup, on a entendu un bruit très étrange que nous n'avons pas reconnu, puis une grande explosion.
Tout le monde a demandé : “Qu'est-ce que c'est que ce vacarme ?
Personne n'avait la réponse.
Les Prussiens (allemands) n'ont rien dit à ce sujet ; et nous n'avions pas le droit de poser la question !
Plus tard, on a dit que c'était un engin anglais, mais personne n'a eu le droit d’en savoir davantage.”

Quand la carrière de Wittring était une usine secrète d’armement

Wittring est une petite commune de près de 750 habitants, située dans une boucle de la Sarre, à 13 km au sud de Sarreguemines.

Outre l'exploitation de ses pierres calcaires et ses champignons, la carrière de Wittring a servi d’usine d’armement du IIIe Reich durant la Seconde Guerre mondiale. En effet, les autorités allemandes relancent la production de pierres calcaires le 9 décembre 1940, trois mois après le retour de la population évacuée en Charente. En l’espace de quelques mois, des activités ultra-secrètes drainent 8 000 personnes. Les habitants s’interrogeaient sur ce qui se tramait dans les carrières.

Le IIIe Reich d’Adolf Hitler a surtout besoin d’armement. Et plus les années de guerre avancent, plus les Allemands cherchent à protéger leurs usines d’armement des bombardements alliés, notamment en les déplaçant sous terre.

Il est grand temps de tordre le cou à la légende selon laquelle des V1 auraient été assemblés dans cette carrière souterraine. Cette affirmation est fausse.

La carrière de Wittring sert comme usine secrète et stratégique de fabrication de pièces pour l’aéronautique et plusieurs éléments nécessaires aux fusées V1 et V2. Le site était classé “propriété directe de l’armée” sous le commandement d’Albert Speer, ministre de l’armement et des munitions et bras droit d’Hitler. Peu d’entreprises d’armement disposaient de cette qualification.

Elle était la plus importante unité de production d’oxygène liquide en sous-terrain du IIIe Reich. L’oxygène liquide, qui servait à la propulsion des fusées V1 et V2, était acheminé vers le centre de tir de Peenemünde, dans le Nord de l’Allemagne.

Malgré le fait que les Alliés connaissaient vraisemblablement l’existence des usines (sous les noms de code Kalk I et Kalk II) celles-ci ne furent que rarement bombardées. Près de 35km galeries abritèrent également la fabrication des moteurs BMW, destinés aux avions Focke-Wulf FW 190. En revanche, les avions Messerschmitt étaient équipés de moteurs Daimler-Benz (Mercedes).

Entre 10 000 et 14 000 prisonniers de guerre et ouvriers forcés de l’Est y ont travaillé durant l’occupation, cachés dans cette immense carrière à l’abri des bombardements. Il reste encore quelques vestiges de cette époque comme les baraquements Nachtigall, qui abritaient le personnel civil travaillant à l’usine d’oxygène liquide.

Il est incompréhensible que ce site chargé de notre histoire soit aujourd’hui fermé et abandonné ! Il pourrait devenir une pièce maîtresse d’un circuit mémoriel, vitrine de notre passé mouvementé et de notre culture. Et ainsi drainer beaucoup de visiteurs qui, par la même occasion, comprendraient que nous ne sommes pas des Allemands, mais bien des Français authentiques, de culture francique rhénane et parlant le Platt.

 

Le saviez-vous ? Le site, relié au réseau ferroviaire, était totalement fermé au public. Les wagons ne circulaient que de nuit, ce qui valut à ces convois le surnom de “trains fantômes” parmi les habitants de Wittring.

Dans le village annexé, des affiches en allemand rappelaient que “l’ennemi vous écoute”, instaurant un climat de peur et de méfiance. Cette atmosphère était entretenue afin de maintenir la population à l’écart des activités militaires du site.

Affiche seconde guerre mondiale, date précise inconnue

Affiche de 1939

Et à Welferding ?

En 1944, les Allemands eurent comme projet de transformer les anciennes carrières souterraines de Welferding en usine pour la fabrication de moteurs à réaction ou de fusées V1 et V2, comme c'était le cas des carrières de Wittring.

Situé sur la route de Sarrebruck entre ce quartier de Sarreguemines et le village de Grosbliederstroff, au lieu-dit Gungling, le site semblait idéal : une superficie de 5 hectares pour l'une des deux carrières communiquant entre elles, avec une profondeur de 500 mètres sur trois cents de large, creusée sous une voûte protectrice de 120 mètres d'épaisseur. La seconde carrière s'étendant sur 2 hectares et présentant sensiblement les mêmes dimensions.

Un camp de baraquement pour 2 000 prisonniers russes était installé à proximité afin de fournir la main-d’œuvre nécessaire aux travaux d'électrification et de transformation en usine d'armement.

Mais vu l'avancée des Américains, l'usine ne fut pas terminée à temps et les prisonniers russes furent évacués au début du mois de septembre 1944.

Peu à peu, suite à l'intensification des bombardements, des milliers d'habitants de Sarreguemines, de Welferding et de plusieurs autres communes alentour y compris de quelques villages sarrois, vinrent se mettre à l'abri dans ces carrières transformées en véritable ville souterraine. Adolphe Meyer, directeur de l'école de Welferding, y recensa 5 700 individus !

Si le confort était sommaire, on y trouvait tout de même des cuisines, un hôpital de campagne avec un important stock de produits pharmaceutiques, on y avait accès à de l'eau et même à l'électricité jusqu'au départ définitif des Allemands.

D'où a été tiré le V1 tombé sur Tenteling ?

Des centaines de rampes de lancement de V1 ont été érigées par les Allemands, dont un grand nombre, du Cotentin aux Flandres afin de toucher l'Angleterre et la Belgique.

Il y avait également des rampes de lancement en Allemagne notamment dans la région de l'Eifel*.

Entre le 21 octobre 1944 et le 5 février 1945, 5 618 V1 ont été lancés depuis cette région.

Trèves, une des villes les plus au sud de cette région, est située à moins de 100 km de Tenteling ! On sait qu'il y eut plus de 20% d'échec lors de ces tirs et que la précision pour atteindre leur objectif n'était pas le point fort de ces engins.

N'est-il pas curieux qu'un V1 se soit écrasé à Tenteling le jour même où ont débuté les tirs de V1 depuis l'Eifel* ?

L’hypothèse la plus probable est que ce V1, sûrement lancé depuis l’Eifel, s’est égaré. Il était sans doute destiné à viser la Belgique. Avec une portée maximale de 260 km, il faisait vraisemblablement partie des 20% de missiles qui se sont perdus.

*L'Eifel est une région de collines en Allemagne occidentale, au sud de Cologne, et au sud-est des cantons de l'est de la Belgique. Elle occupe le sud-ouest de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie et le nord-ouest de la Rhénanie-Palatinat.

Dora, un camp à part.

Photo d’archive : Laurent Thiery

En quoi était-il spécifique ?

  • On y fabriquait en série la fusée A4-V2 ;

  • on y avait recours massif à une main-d’œuvre concentrationnaire encadrée par des civils allemands - il s'agissait d'un site souterrain à l'abri d'une destruction par des bombardements.

Né du lien étroit tissé entre les scientifiques brillants comme Wernher von Braun, il sera le théâtre des pires atrocités de la guerre afin de satisfaire les ambitions hégémoniques et conquérantes du Reich nazi.

 

Au total, un tiers des 60 000 détenus passés par ce camp, toutes nationalités confondues, entre août 1943 et avril 1945, n'a pas survécu, ce qui fait de Mittelbau-Dora* l'un des camps de concentration les plus meurtriers.

 

C'est dans l'urgence, après le bombardement dans la nuit du 17 au 18 août 1943, par les Anglais du site de Peenemünde (735 morts) situé sur l’île d’Usedom à l’estuaire de l’Oder (mer Baltique) au Nord de l’Allemagne où l'on mettait au point la fabrication des armes terrifiantes, les V1 et les V2, que Dora fut aménagé. Au début, il n'y a ni eau ni électricité, pas de ventilation, des fûts faisant office de latrines, pas de baraquements pour loger les détenus. Les morts sont envoyés à Buchenwald pour y être incinérés.

L'usine (Mittelwerk) est immense. L'ensemble du Tunnel représente près de 97 000 m2. Les tunnels A et B de près de 2 km de long, larges de 9 m et hauts de 7 m, sont rejoints par 48 galeries transversales de 150 m de long.

Les Kommandos** de l'usine y travaillent nuit et jour par vacations de 12 heures.

Dès juillet 1944, la production des bombes volantes V1, jusque-là dispersée sur plusieurs sites en Allemagne, est concentrée à Dora.

Qui sont les déportés de France à Mittelbau-Dora ?

Ils sont issus de tous les milieux sociaux et de toutes les catégories socioprofessionnelles : énarques, fonctionnaires, chefs de cabinets de préfets, professeurs d'université, militaires, instituteurs, paysans, mineurs, artistes, forains, étudiants, etc. Le plus jeune avait 14 ans, les plus vieux étaient nés en 1881.

Plus d'un quart d'entre eux ont été arrêtés en tant que membre d'une organisation de résistance, pour avoir tenté de se soustraire à leur enrôlement dans l'armée allemande en gagnant la France occupée ou un pays voisin, pour activité communiste, détention d'arme, maquisards, pour un motif de droit commun, etc.

Le Centre d'histoire et de mémoire de La Coupole est le lieu principal en France de la conservation de la mémoire des anciens déportés de Dora. Il est à l'origine de l'ouvrage qui prendra pour titre “Le livre des 9000 déportés de France à Mittelbau-Dora” - camp de concentration et d'extermination par le travail”, fruit de 20 ans de recherches. Les informations ci-dessus sont extraites de cet ouvrage.

Nota : La fusée A4-V2 sera lancée à des milliers d'exemplaires principalement sur les villes de Londres et d'Anvers pour terroriser la population tout en causant la mort et la destruction.

 

Aujourd'hui ce type de matériel de guerre se nomme drone et missile et est utilisé en Europe orientale aux mêmes fins.

 

*Mittelbau signifie “construction du centre” nom de code donné par les SS à partir du 1er novembre 1944 au dernier-né des camps de concentration nazis qui regroupe Dora, Ellrich, Harzingen et une quarantaine de Kommandos.

**Kommandos : détachements de détenus répartis dans des commandos de travail.

Des habitants du Steinhart déportés et contraints de travailler à la fabrication des V1 et V2

On trouve parmi les 132 Mosellans déportés au camp de Dora, plusieurs habitants du Steinhart.

Nous vous livrons ici quelques extraits de leurs témoignages* :

Témoignage de Eugène Greff

Eugène Greff est né le 25 mars 1920 à Etzling.

Il est arrêté à Clermont-Ferrand, lors de la grande rafle des étudiants du 25 novembre 1943 et emprisonné au 92e régiment d'infanterie de Clermont-Ferrand avec 130 autres victimes. Motif de l'arrestation : « intelligence avec l'ennemi ». Il est envoyé en janvier 1944 au camp de concentration de Buchenwald.

Après 3 semaines passées là-bas, Eugène est transféré, le 9 février 1944, au Kommando de Dora où étaient assemblées les fusées A4-V2. Au début de son séjour à Dora, les déportés travaillaient et dormaient sur place, dans des tunnels. Pendant trois mois, Eugène ne vit pas la lumière du jour.

À partir du 28 août 1944, il ira dormir au camp d’Ellrich. Après 12 heures de travail quotidien, les détenus parcouraient 2 km à pied pour gagner la gare de Niedersachwerfen, où ils étaient entassés dans un train qui les emmenait à Ellrich, à une quinzaine de kilomètres de Dora. On y dormait à même le sol, sans paillasse ni couverture, dans de grandes salles dont les fenêtres n’avaient plus de carreaux. C’était l’automne et il faisait froid dans cette région du Harzgebirge dont le relief est comparable aux Vosges, mais à 500 km plus au nord. Il pleuvait presque tous les jours et les détenus trempés couchaient dans les courants d’air, sans pouvoir sécher leurs vêtements parfois huit jours durant.  

À l’approche des Américains, le camp fut évacué par les Allemands. Certains partirent à pied (la “marche de la mort”), d’autres, en train, comme Eugène. Durant ce trajet commencé le 4 avril 1945, il resta 4 jours sans rien recevoir à manger. Eugène arriva en piteux état au camp de Bergen-Belsen, le 8 avril 1945. Il fut libéré le 15 avril 1945 par l'armée britannique, tout comme Simone Weil qui séjourna dans ce même camp. Il fut rapatrié en France le 29 du mois par le centre d'accueil de Lille (Nord).

Eugène, méconnaissable, arriva à Etzling le 1er mai 1945.

Il est décédé le 13 septembre 2012 à Etzling.

Témoignage de Victor Joseph Breit

Breit Victor Joseph est né à Etzling le 18 décembre 1923 ; son ami Greff Joseph, le 3 mai 1925 à Geislautern. Tous deux voulaient échapper à l’enrôlement dans la Wehrmacht. Ils firent équipe pour tenter de gagner, le 22 juillet 1943, Auboué, en zone occupée.

Par malchance ils se firent surprendre par une patrouille allemande. Ce fut le début d’une longue période de captivité qui débuta par un séjour de trois mois à la prison de Metz, du 28 juillet 1943 à mi-octobre 1943. Puis, regroupés avec d’autres prisonniers à Strasbourg où ils ne restèrent que deux ou trois jours, ils furent envoyés en train à Schirmeck et, de là, le 27 octobre 1943, acheminés en camion au camp de Struthoff-Natzwiller en Alsace. Ils restèrent peu de temps dans ce camp.

Suite au bombardement, dans la nuit du 17 au 18 août 1943, par les Anglais du site de Peenemünde (735 morts) situé sur l’île d’Usedom à l’estuaire de l’Oder (mer Baltique) au Nord de l’Allemagne où l’on fabriquait des armes terrifiantes, les V1 et les V2, les Allemands firent appel aux détenus de différents camps afin de remplacer les pertes de prisonniers-ouvriers. Les ouvriers qualifiés étaient particulièrement recherchés. C’est ainsi que Victor Joseph fut envoyé le  3 novembre 1943 au camp de Karlshagen situé sur cette île, à proximité du site de Peenemünde et rattaché à Ravensbrück. Ce camp regroupait un millier de détenus affectés aux travaux de terrassement, de constructions de pistes et pour certains, de mise au point des fusées de Wernher von Braun.

Breit Victor Joseph, ajusteur qualifié, fut affecté au Kommando E8.

En février 1945, en prévision de l’arrivée des Russes, le camp fut évacué et dynamité. Les détenus furent dirigés sur le camp d’extermination de Dora, en train -un pénible voyage à découvert sur des wagons-tombereaux de marchandises-. Dora fut évacué à son tour sur un camp situé près de Berlin. Un beau matin, les prisonniers constatèrent que leurs gardiens SS avaient disparu. Ils se retrouvaient livrés à eux-mêmes, au bord d’un lac, près de Schwerin. Ils se rendirent aux Américains le 3 mai 1945 et furent acheminés dans une ville située près de Munster en Allemagne puis transportés en camion en Hollande où ils prirent le train jusqu’à Lille le 21 mai 1945, avant de rejoindre la capitale.  

Souffrant de bronchite et de furonculose, il fut de retour à Etzling le 23 mai 1945.

Victor Joseph Breit est décédé à Rouhling (Moselle) le 4 juin 2015.

 

Témoignage de Eugène Nussbaum

Eugène Nussbaum est né le 22 mars 1923 à Behren.

Pour échapper à son incorporation dans l'armée allemande, il décide de passer en France le 10 juillet 1943. Malheureusement il est arrêté au cours de sa tentative par les douaniers allemands à Amanvillers. Il est incarcéré à Metz puis transféré à Natzweiler-Struthof le 1er décembre. Le 15 décembre 1945, il est déplacé à Buchenwald et le 21 du même mois au Kommando de Dora où il va travailler soit à des travaux de terrassement et d'aménagements, soit aux tâches liées au montage des fusées A4-V2. Il quitte Dora le 5 avril 1945 pour arriver au camp de Ravensbrück le 14 avril. Ce dernier camp évacué, il se retrouve à Malchow le 28 avril. Après une nouvelle évacuation dans le chaos, Eugène sera libéré le 10 mai par l'armée rouge.

Rapatrié par Lille (Nord) le 18 juin 1945, il pourra regagner Behren le 22 novembre 1945.

Eugène Nussbaum est décédé le 23 avril 2007 à Behren.

 

Témoignage de Alphonse Risse

Alphonse Risse est né le 27 mars 1915 à Metzing. Il est appelé à servir dans la Wehrmacht le 25 juin 1943. Il décide de s'y soustraire et tente de rejoindre des résistants.

Il est arrêté le 23 juillet 1943 à Differdange (Luxembourg). Il est incarcéré d'abord au Luxembourg puis du 17 juillet 1943 au 29 octobre à Metz. Il est ensuite déporté au camp de Natzweiler-Struthof. Le 4 novembre 1943, il est envoyé au Kommando de Karlshagen dépendant du camp de Ravensbrück. Il va travailler sur le site de Peenemünde où sont fabriquées les fusées A4. Il reste à Karlshagen jusqu'à l'évacuation du camp le 28 mars 1945 puis le 1er avril 1945, il est dirigé sur le Kommando d'Ellrich rattaché à Mittelbau-Dora.

Il fut libéré le 24 avril 1945.

Alphonse Risse est décédé le 10 juillet 1989 à Diebling.

*Témoignages pris à partir du livre “Mon village de 1925 à 1945” de Norbert Becker et de l'ouvrage “Le livre des 9000 déportés de France à Mittelbau-Dora” sous la direction scientifique de Laurent Thierry, édition Cherche Midi.

 

Rappelons quelques chiffres :

Nombre de V1 produits par l'industrie allemande : 32 600 unités !

10 492 V1 ont été tirés contre la Grande-Bretagne (Londres) ; 11 892 contre la Belgique.

La portée maximale d’un V1 n’excédait pas 260 km.

 

Sources : Témoignage de Joseph Wack et son frère Alphonse, relevé dans le recueil de textes et récits “Entre Cadenbronn et Nousseviller” tome 1A de Alphonse Wack. 
Extrait de l’interview de Jean-Claude Stieffatre adjoint au maire de Tenteling - Républicain Lorrain 20/10/2024.
Témoignage de Mme Bour. Témoignage de M. Nagel.
Gilles Weiskircher sur la carrière de Wittring.
Témoignage de Eugène Greff : Bu7/2-9/9 (Buchenwald) ; DAVCC 21p619145 ; fiche BB (18/04/1945) ; rencontres avec l'auteur Norbert Becker en 2003. 
Témoignage Victor Joseph Breit : Nat12/3 ; LA 9291-9430 ; LA 9106 ; DAVCC 21p717242.
Témoignage Alphonse Risse : Nat12/3 (Natzweiler) ; DAVCC 21p652918.
Paragraphe “Et à Welferding ?” ouvrage “Welferding, chronique d'un village” d'Alfred Weber et Philippe Tomasetti.

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